A l'ombre du Palais [Andreï Romanov & Olga N. Romanova]

« Tatiana… Tatiana… regarde…. Comment tu la trouves ? Elle est jolie n’est-ce pas ? Penses-tu qu’elle lui plaira ? » lâcha l’aînée des grandes Duchesses en s’emparant d’une robe à la couleur claire et aux rubans de satin. Olga était une jeune fille coquette, c’était indéniable et quand bien même l’homme qu’elle allait voir, faisait partie de sa famille, elle avait un rang à tenir. Olga tenait devant elle la fameuse robe et se regardait dans le grand miroir en pied qui trônait dans la chambre qu’elle partageait avec sa cadette. La tête de Tatiana passa dans l’entrebâillement de la porte et son petit sourire vint confirmer ce que pensait l’aînée des filles du Tsar. Olga affichait un grand sourire. La guerre était à ses portes. Son père avait déclaré la guerre à l’Allemagne. Malgré tout, la jeune fille faisait tout ce qui était en son pouvoir pour ne pas y penser. Elle n’allait pas aussi souvent que ses sœurs auprès des soldats. Peut-être avait-elle peur d’y retrouver quelques visages connus. Et si elle tombait sur le visage de Pavel ? Si jamais elle venait à le reconnaître parmi les soldats blessés ou pire mourant ? La fille d’Alksendra Fiodorovna s’y refusait et le fait qu’elle évitait soigneusement les blessés insupportait sa mère. Mais la fille de la Tsarine s’en moquait éperdument. Elle préférait, et aujourd’hui encore plus, penser à la venue de son cousin Andreï.

Andreï le frère de Boris, Olga l’appréciait bine plus que son aîné. Et pour une fois, l’aînée des Grandes-Duchesses était d’accord avec sa mère. C’était assez rare pour le souligner. Boris, il avait été un temps question qu’elle soit fiancée à cet homme, une nouvelle qu’elle n’avait pas accueilli comme son père l’aurait souhaité. Mais comment accepter un homme en tant qu’époux alors que son cœur battait pour un autre. Olga ne le voulait pas. La jeune fille secoua la tête et retira devant elle sa robe pour la déposer sur son lit. Une de ses femmes de chambre s’approcha d’elle et l’aida à se préparer. Il était hors de question qu’elle fasse attendre son cousin. Alors lorsqu’elle fut enfin prête, elle sourit une dernière fois à son reflet dans le grand miroir et quitta sa chambre un air joyeux sur le visage.

Marchant d’un pas lent et élégant, la Grande-Duchesse avait un port de tête impérial digne de son rang. Et c’était ainsi que Olga Romanova traversait les couloirs du palais Alexandre. Le palais Alexandre, Olga y vivait avec s famille depuis maintenant presque dix ans. Elle adorait le palais et ses colonnades. Et ce fut dans le grand salon qu’elle retrouva son cousin déjà présent. Olga s’approcha de lui et s’inclina dans une révérence parfaite. « Mon cher cousin, je suis heureuse de vous voir ici. » ajouta la jeune fille en se relevant. « Comment vous portez-vous, mon cousin ? » demanda alors la jeune princesse impériale, tout sourire et ses yeux pétillants. Olga espérait bien que son cousin ne vienne pas lui parler de la guerre. Elle ne voulait pas en parler, tout le monde en parlait et l’enfant qu’elle était encore parfois ne voulait pas souffrir d’une telle conversation.

Le temps file à une vitesse folle. Plus que quelques jours avant de rejoindre le front et prendre en mains les destinées de mon régiment. D’ici là, j’ai tant à faire pour m’assurer que mère, Mathilda et notre fils soient en sécurité. Je dois également m’assurer qu’ils ne manquent de rien en mon absence, mais également les préparer au pire. Dieu seul sait ce que cette guerre nous réserve. L’équilibre des forces est fragile et bien que je doute encore du bien fondée de cette guerre, je dois respecter mon serment envers mon tsar et faire honneur à mes ancêtres. Pas question de fuir ni me défiler. Je dois défendre mon pays contre l’envahisseur. Le protéger contre un possible pillage de nos richesses.

Alors que je suis en chemin pour le palais Alexandre pour prendre le thé avec ma cousine Olga, je ne peux m’empêcher d’espérer un miracle pour nous éviter à tous une catastrophe. Qui sait combien de temps ce conflit durera. Qui sait ce qui guette la Russie au terme de cette guerre. Est-ce que nos armées seront assez puissantes pour nous protéger des Allemands et des Autrichiens? Tant de questions occupent mon esprit que je ne sais toujours pas quels mots utiliser pour livrer mon message à ma chère cousine. Malgré le caractère délicat de mon message, j’ai pris sur moi de parler à la plus âgée des filles du tsar et le mettre en garde contre Raspoutine. Âgée à présent de dix-huit ans, je veux croire que la jeune femme soit suffisamment mature pour écouter mes arguments. Quelle sera saisir mon inquiétude ainsi que celle de la majorité des membres de la famille. Pour nous tous, cet homme n’est pas digne de conseiller la tsarine. La tsarine est peut-être aveuglée par sa foi en Dieu et son supposé représentant pour nous, il n’est qu’un vil personnage. Un danger pour la couronne, mais également pour toute la Russie.

Lorsque j’arrive enfin au palais, je suis escorté par un valet jusqu’à un salon donnant sur l’immense parc qui borde la demeure impériale. Sur de petites tables, les domestiques ont posé des bouteilles d’alcools et des gâteaux pour accompagner le thé. Vêtu de mon plus bel uniforme, j’attends patiemment l’arrivée de ma jeune cousine. Lorsque celle-ci fait son entrée dans le salon, je la salue respectueusement et lui baise la main alors que la demoiselle me fait la révérence.  
 
- Chère cousine, je tiens à vous remercier d’avoir accepté de me recevoir.

Elle me fait signe de m’installer sur l’un des fauteuils alors qu’un défilé de domestiques fait leur entrée pour venir nous servir du thé et des friandises. Je ne suis pas d’un habituel très bavard aussi cet exercice pour moi est une véritable torture. Je lui souris pour ne pas l’inquiéter et décide de jouer le jeu de l’étiquette comme il se doit malgré et ce même si je trouve tout ce cérémonial ridicule.

- Comment vous portez-vous, mon cousin?

- Je me porte très bien, merci. Et vous chère cousine? Votre santé ainsi que celles de vos sœurs se portent bien?

Je fais une légère pause le temps d’accepter la tasse de thé que le valet me tend et ajoute : « Ma mère vous envoie ses amitiés. Ma chère, je ne veux en rien vous brusquer, mais croyez-vous que nous pourrions être seuls. J’aimerais vous parler dans le privé »

Surprise par ma demande, la jeune femme demande aux domestiques de se presser à faire le service et elles les congédient par la suite pour que nous puissions être seuls. Je prends une profonde inspiration et je me lance en espérant ne pas commettre une terrible faute. Déjà que l’impératrice ne me porte pas dans son cœur, je ne voudrai pas en plus qu’elle me juge déloyale envers mon Tsar et sa famille. Bien au contraire, c’est pour les préserver du jugement du peuple et de l’aristocratie que je me trouve ici.

- Olga… le sujet est délicat. Croyez bien que ce n’est pas de gaieté de cœur que je viens vous voir aujourd’hui. Vous me connaissez. Vous savez que je ne suis pas une commère de salon et que je n’ai que faire de l’opinion que les gens se font de moi, mais c’est par amitié et affection pour vous, vos sœurs et votre frère que je suis ici.

J’avale un peu de thé pour me délier la langue et me donner du courage et lui dis enfin : « Chère cousine, je dois vous mettre en garde contre la folie qui vous guette vous et votre famille. Dehors la colère gronde. Le peuple a faim. Le peuple a froid. Il veut du travail. Il réclame un minimum de justice et de partage des richesses. Il veut pouvoir vivre librement. Vous savez que ce n’est pas la première fois qu’ils s’enragent contre la monarchie, mais cette fois la colère est encore plus grande et profonde parce que votre mère ne cesse de fermer son cœur aux appels du peuple. Elle préfère écouter Raspoutine… c’est lui qui vous conduira à votre perte. Il faut le chasser… lui demandé de partir et de ne plus jamais réapparaître à la cour »

L’aînée du Tsar inclina simplement la tête une nouvelle lorsque son cousin la remercia de le recevoir une nouvelle fois. Un fin sourire s’étira à la commissure de ses lèvres. La jeune femme laissa passer les domestiques qui devaient apporter boisson et douceur. Elle les garda à l’œil jusqu’à ce qu’ils ne quittent les lieux. Et pendant ce temps, elle avait invité son cousin à prendre place dans un fauteuil. L’homme sembla ravi d geste. Alors la demoiselle poursuivit sur sa lancée et demanda à Andreï comment il se portait. La santé de son cousin la préoccupait réellement. La guerre était aux portes de la Russie. Elle n’avait pas d’autre choix que de l’admettre. Malgré tout, elle se refusait de croire qu’elle puisse franchir les portes du palais. Le Tsar, son père était un homme fort, il saurait maintenir leur Russie loin de tout ceci. Olga Nikolaïevna était persuadée que jamais Saint-Pétersbourg ne serait touchée par les conflits, qu’ils resteraient sur les frontières.

Nouveau sourire sur les lèvres de la Grande-duchesse lorsque Andreï lui retourna sa propre question. « Nous nous portons bien et notre frère le Tsarévitch semble allez un peu mieux. Pour un temps en tout cas. » lâcha la jeune femme. « Je ne doute pas qu’une nouvelle fête se tiendra bientôt ici, si vous voulez mon avis, cher cousin. » reprit alors Olga, tout sourire. « Votre mère est adorable. Vous lui transmettrez mes amitiés en retour, je compte sur vous. » répondit l’aînée des filles de Nikolaï. Mais lorsqu’il lui demanda s’ils pouvaient converser en privé, Olga arqua un sourcil d’étonnement. Andreï venait de boire une gorgée de thé et elle l’avait imité peu de temps après. Olga fut légèrement surprise mais fit en sorte que ses domestiques se pressent un peu pour les laisser seul à seul. Et la jeune femme avait bien fait. Les paroles de son cousin la figèrent dans sa stature. Les yeux de la Grande-Duchesse s’assombrirent. Olga n’aimait pas parler de la guerre, du mécontentement du peuple. Elle vivait dans un monde où tout était fait pour qu’elle ne se dote de rien. « Le peuple a déjà grondé il y a quelques années de cela, mon cher cousin. Et notre famille est toujours là. Il n’en sera pas différemment aujourd’hui. Le peuple est libre, le Tsar fait tout pour qu’il vive comme il faut. Manquerait-il de reconnaissance face à leur Tsar ? » commença la jeune femme.

Olga Romanov se leva d’un bond lorsqu’il parla de Raspoutine et de sa mère. Olga avait des divergences avec la Tsarine. Les deux femmes ne s’entendaient pas toujours mais Aleksandra restait sa mère et entendre quelqu’un la critiquer de la sorte ne fit que la renfrogner. Le regard clair de l’aînée des Romanov se planta dans celui de son cousin. « Raspoutine a le mérite de soigner et de soulager mon frère, cousin. Ce qu’aucun autre n’a su faire par le passé… » lâcha Olga d’un ton sévère telle une enfant qui n’aimait pas se faire gronder. Elle fit quelques pas et reporta son attention sur son cousin. « Ma mère n’acceptera jamais de renvoyer la seule personne qui arrivent à soigner l’héritier de l’Empire ! »